Confinées

Description

L’expérience traumatisante du Covid-19, qu’avec des centaines de millions de personnes nous avons vécue au cours de 2020 et de la première moitié de 2021 —et dont nous ignorons encore quand elle prendra fin — a laissé non seulement un terrible héritage de mort, de maladie et de ruine économique, mais également, entre autres effets connexes, un changement probablement irréversible de notre perception de l’espace domestique : nous avons été confinés dans nos propres maisons, qui ont ainsi acquis subitement le statut inattendu de prison, pour confortables qu’elles l’étaient. Et, à partir de ce moment-là, comme tant de prisonniers tout au long de l’histoire, nous avons découvert que notre habitat maintenant fermé renfermait (redondance délibérée) une infinité de possibilités d’utilisation et de vie à peine imaginées jusqu’alors. S’il est vrai que, depuis au moins deux siècles, nos vies se construisaient à partir d’une dialectique laborieusement élaborée entre espace privé et espace public, la soudaine disparition de ce dernier paraissait mettre en question notre propre mode d’existence.
Ce n’est pas la première fois que cela se produit et l’histoire nous offre de nombreux exemples comparables sur lesquels réfléchir. Defoe, dans son Journal de l’année de la peste, nous raconte crûment comment, dans le Londres de l’épidémie, les maisons des pestiférés passaient très vite de leur condition de foyer à celle de prison et, aussitôt, à celle de tombeau pre mortem implacablement clos. Il y a peu encore, le simple soupçon d’une maladie contagieuse déterminait le confinement rapide (la redoutable “quarantaine”, un
mot qui semblait relégué au passé et qui a acquis une nouvelle actualité, bien que par bonheur il n’implique plus nécessairement quarante jours) dans des espaces de plus en plus spécialisés. C’est ce que put vérifier, par exemple, Jean-Jacques Rousseau en 1743, lors de son séjour forcé dans la léproserie de Gênes où, tel qu’il nous le raconte dans ses Confessions, il sut se créer un habitat le plus ressemblant possible à la normalité domestique.
Nous avons eu l’avantage sur le Genevois qu’il ne s’est pas agi pour nous de créer un foyer impliquant un enfermement mais, bien au contraire, d’adapter à une insolite condition de confinement ce qui était déjà notre maison. Lors de celui-ci, nos chambres ont beaucoup ressemblé à des cellules de prison et nous avons dû apprendre à penser cette nouvelle existence. Nous aurions pu évoquer toute une ligne de réflexion surgie directement de la condition de confinement et qui va de Boèce à Blanqui, de Sade à Gramsci ou à ce grand vagabond des étoiles romancé par Jack London. Nous pourrions aussi nous souvenir du film de John Frankenheimer Birdman of Alcatraz (1962), avec un splendide Burt Lancaster faisant de sa cellule un laboratoire d’études ornithologiques. Mais nous avons surtout pensé à Xavier de Maistre, ce personnage polyfacétique (militaire, peintre, écrivain), éclipsé par la renommée de son frère Joseph, et auteur de ce que l’on pourrait considérer la véritable bible du confinement : l’extraordinaire Voyage autour de ma chambre (1794), dans
lequel il raconte, comme s’il s’agissait d’un voyage vers des pays exotiques, son arrestation pendant quarante-deux jours dans sa propre chambre.
À la différence des espaces qui isolèrent nombre de ces malheureux, nos maisons, même fermées, sont ouvertes au monde. Et je ne pense pas seulement au rôle d’internet, des réseaux sociaux et du monde virtuel, tellement débattu.
Je pense surtout à la façon dont nous avons récupéré la valeur profonde de la fenêtre, bien au delà de sa simple fonction d’éclairage et de ventilation. Et comment des millions de petites terrasses jusqu’alors inutiles, sont devenues des espaces de contact social. Elles ont procuré une nouvelle vie à des façades qui n’étaient pour nous plus que des murs aveugles.
Au cours des dernières décennies du XIXe siècle et des premières du XXe, de nombreux artistes, de Gustave Caillebotte à Edvard Munch, ont représenté le sujet de “l’homme au balcon”. Ils étaient fascinés par l’apparition massive de cet élément architectural auparavant réservé au luxe des puissants et qui maintenant se multipliait comme espace hybride —ni dedans ni dehors — en raison de la conversion de la métropole en spectacle. Dans la ville-covid le balcon et la terrasse ont accueilli un autre genre de spectacle : celui de la
résilience et non plus celui du regard satisfait de l’intérieur vers l’extérieur, vers la richesse de l’espace public depuis la sécurité de la forteresse privée.
Cette même capacité de résistance est celle qui nous a permis de réinventer les usages des espaces intérieurs de la maison. En questionnant le dogme selon lequel chaque espace domestique a un usage unique, le confinement a permis de rompre les compartiments étanches, de repenser le rapport entre l’enveloppe architecturale et le mobilier ; en somme, de redéfinir la maison.
Les expériences et les projets recueillis dans ce projet portent sur tout cela.
Il vient s’ajouter à bien d’autres afin de proposer une réflexion collective permettant d’espérer, qu’une fois la pandémie révolue, nos foyers aient appris de tout ce qui s’est passé.

Détails

Auteur: Maison De L'Architec

Editeur: MAISONDELARCHI

Format: Relié

Date de parution: 12 2Février1

Nombre de pages: 66

Poids: 600

Dimensions: 21,6 x 29,6 x 1,3

Prix publique: 18,00 €

Information complémentaires

Classification: Arts et Beaux livres > Arts majeurs > Photographie

Code Classification: 3667 > 3676 > 3691

EAN-13: 9782954457956

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